LE COMBAT D’UNE MÈRE SUSANA TRIMARCO

Susana trimarco

SUSANA TRIMARCO , tente depuis dix ans de sauver sa fille des griffes d’un réseau d’esclaves sexuels, et a permis l’interdiction du trafic humain. Sa lutte lui a valu une nomination au prix Nobel de la paix par la présidente Cristina Kirchner et devenu une reconnaissance internationale

Dix ans de lutte sans répit. Depuis 2002, Susana Trimarco est inlassablement à la recherche de sa fille Maria de los AngelesVeron, surnommée Marita. Il y a une décennie, la jeune femme de 23 ans est partie pour un rendez-vous chez le médecin dont elle n’est jamais revenue. Susana n’a toujours pas retrouvé Marita, et les 13 personnes qui étaient sur le banc des accusés, suspectées d’être mêlées à l’enlèvement, depuis un an ont été acquittées mardi devant une cour du Tucuman, provoquant un vent d’indignation et des manifestations dans plusieurs villes du pays. Susana Trimarco est convaincue que sa fille a été enlevée dans le but d’être prostituée par ses ravisseurs. «Nous n’avons pas pu établir ce qu’il s’est réellement passé, a affirmé le juge Alberto Pedrabuena pour justifier son verdict, selon la BBC. Mais ce n’était pas un cas de trafic humain.» Le procès durait depuis le mois de février.

Le 3 avril 2002, Marita a disparu à quelques centaines de mètres de chez elle, happée par deux hommes dans une voiture rouge aux vitres teintées, alors qu’elle se rendait à un rendez-vous arrangé par une voisine dont se méfiait Susana, qu’elle suspecte de travailler pour des trafiquants, raconte-t-elle dans le long article que lui a consacré le «Daily Beast». Quelques témoins ont assisté à l’enlèvement, mais n’ont jamais collaboré avec la police. Pire, l’un d’eux s’est même évanoui dans la nature: Susana Trimarco suspecte qu’il ait été victime des ravisseurs de sa fille, qui se seraient débarrassés d’un témoin gênant.

"Il y a un avant et un après affaire Trimarco", affirme un magistrat 

Susana a rapidement compris que la police ne lui serait pas d’une grande aide, les officiers pensaient Marita partie volontairement. Or, la mère de famille le savait: sa fille unique était en danger, elle n’aurait jamais abandonné son mari ni leur fille de trois ans, Sol Micaela. Au mois de mai 2002, quelques semaines après la disparition de Marita, Susana apprend qu’une jeune femme correspondant à la description de sa fille a été découverte errant le long d’une route dans une région proche, probablement saoule ou droguée. Elle disait s’appeler Mirta Bron, ce qui aurait pu ressembler à son nom entier, Marita Veron, mal prononcé sous l’effet d’une drogue. Des policiers l’ont alors recueillie puis ont expliqué lui avoir payé un ticket de bus… Et ne plus l’avoir revue.

S’engage alors une quête frénétique d’informations sur Marita pour Susana, qui avait à l’époque discuté avec une prostituée qui affirmait avoir entendu parler de l’enlèvement. Les méthodes utilisées par Susana à partir de ce moment sont peu orthodoxes: elle se déguise elle-même en prostituée pour visiter bars et maisons closes de La Rioja. Elle est même allée jusqu’à obtenir le numéro de téléphone de personnes qu’elle suspectait d’être responsables de l’enlèvement. Se faisant passer pour une «cliente», elle s’est alors vue proposer plusieurs jeunes filles à l’achat: aucune d’entre elles n’était Marita. Mais toutes ont été libérées grâce à l’action de Susana. En tout, elle aurait fait libérer plus de 150 esclaves sexuelles en dix ans. «Ces filles n’ont personne pour les protéger, l’Etat ne fait aucun effort pour les trouver, a affirmé Susana à "The Argentina Independent". Donc je poursuis le cas de Marita, et des milliers de filles qui ont le même parcours, seules.»  «Marita est une fille merveilleuse et attentionnée. Ma vie sera complètement absorbée dans ce combat jusqu’à ce qu’elle soit revenue et sauve», a affirmé Susana à CNN en 2008. 

Au moment de la disparition de Marita, le trafic d’êtres humains n’était pas interdit par la loi en Argentine. Ce n’est qu’en 2008, en grande partie grâce au combat médiatisé de cette mère, que cela a été inscrit dans les textes. «Quand on parle de trafic d’humains en Argentine et en Amérique du Sud, il y a un avant et un après, et cela à partir de l’affaire Trimarco», a affirmé au «Daily Beast» un procureur fédéral argentin, Marcelo Colombo. «La lutte de Susana et ses succès dans ce domaine sont incalculables», a-t-il ajouté.

Marita Veron, sur une photo diffusée dans le documentaire "Marita Veron, diez años despues" (Image: YouTube)

 

La présidente Kirchner soutient Susana

Parmi les accusés, désormais acquittés, se trouve Domingo Pascual Andrada. Trois jours après avoir disparu, Marita Veron a été aperçue dans les rues de La Rioja mais ce policier ne l’a pas aidée. Il est accusé de l’avoir trouvée puis livrée à un bordel, avec la complicité d’un procureur local, qui a fait attendre plusieurs heures des enquêteurs qui cherchaient à obtenir un mandat de perquisition. Ces quelques temps ont été cruciaux: une fois sur place, les officiers n’ont pas trouvé Marita, probablement emmenée dans un autre lieu, jugé plus à l’abri des autorités. Jorge Tobar, un inspecteur qui a toujours aidé Susana Trimarco dans son combat, affirme que l’uniforme de policier de Pascual Andrada a été retrouvé au «Candilight», un bar à hôtesses où a été vue Marita, ce que l’intéressé a nié au procès, raconte «La Gaceta».

Pourtant, même si les sept hommes et six femmes accusés repartent libres, le procès en lui-même est une petite victoire pour Susana, qui continuera sa lutte, comme elle l’a promis à la présidente Cristina Kirchner, qui l’a contactée après le verdict. «Je pensais la trouver détruite, mais elle était plus elle-même que jamais, encore plus engagée dans son combat», a expliqué la chef de l’Etat, qui a assuré à Susana qu’elle pouvait «toujours compter sur [elle]».

Cristina Kirchner a même proposé, fin octobre, Susana Trimarco comme candidate au prix Nobel de la paix, rappelle «La Gaceta». «Le rôle de Susana, son courage pour s’immiscer dans des réseaux sauvages de trafiquants et sauver des femmes exploitées, après avoir permis la mise en examen de 13 suspects et la recherche incessante de sa fille», ont été mis en avant par la Fédération argentine des avocats, qui a été l’une des premières institutions à soutenir officiellement Susana. Déjà, en 2007, les Etats-Unis avaient salué le parcours de cette mère-courage en lui remettant l’International Women of Courage Award. La secrétaire d’Etat de l’époque, Condoleezza Rice, avait prononcé ce discours: «Elle a fait face à des dangers et des menaces dans le but de combattre le trafic d’êtres humains et de retrouver sa fille, kidnappée par des trafiquants. Désespérée de ne pas retrouver sa fille, Mme Trimarco s’est mise dans des situations dangereuses […] En dépit de fausses pistes et des menaces de mort, elle a mis à jour des réseaux de trafiquants opérant dans plusieurs régions argentines. Grâce à son travail, le trafic d’être humains est maintenant plus médiatisé auprès du public et du gouvernement, et les victimes sont encouragées à dénoncer ces crimes.» Preuve de de l'influence de Susana Trimarco sur la société argentine: la série «Vidas Robadas», «Vies volées» en français, inspirée de l’affaire Marita, rassemble à chaque diffusion plus de deux millions de téléspectateurs.

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